lundi 15 décembre 2008

S'entraider entre profs

Plusieurs fois depuis le début de la session, des enseignants se sont plaints de ce que les élèves s'absentent régulièrement ou doivent quitter les cours avant la fin d'une période parce qu'un autre enseignant les avait convoqués à une activité ou à une reprise d'une évaluation importante. Dans un corridor, j'ai même entendu un enseignant dire à un élève de venir le voir à son bureau alors que ce dernier se rendait à un cours. L'enseignant a alors rétorqué à l'élève qu'il signerait un billet de justification pour son retard…

Des incidents de ce type se produisent de plus en plus souvent, malheureusement. De plus, certains programmes obligent les élèves à participer à des activités qui empiètent sur l'horaire régulier des autres cours de l'élève : vernissages, journées des affaires, expositions, préparations aux épreuves synthèses, présentations publiques, semaines de ci et de ça, rencontres avec des personnalités, visionnages de films, de pièces de théâtre, etc. Toutes les justifications sont bonnes. Et il est clair que les enseignants qui pèchent ainsi par excès d'initiatives ne le font pas pour nuire aux autres cours, mais en pensant mieux servir leurs intérêts. Pourtant, ce n’est pas le cas, car en agissant ainsi on place très souvent les élèves devant des choix déchirants entre une activité spéciale (et souvent dite obligatoire) et un cours régulier.

Outre que cela a pour effet d'augmenter le taux d'absentéisme, d’abandons et même d'échecs, le message envoyé aux élèves est que certains cours sont plus importants que d'autres. Cette attitude de zèle des enseignants résulte en partie de la structure de l'approche programme qui place par la suite les élèves dans la situation de privilégier les cours de leur programme au détriment des autres, dont évidemment ceux de la formation générale.

À tous ces irritants pour la réussite des élèves s'ajoute un phénomène particulier : plusieurs enseignants se croient seuls au monde et exagèrent quant aux travaux demandés à l'extérieur d'un cours. Ainsi, faut-il le rappeler régulièrement, les heures à consacrer aux travaux à effectuer à la maison dans la pondération des cours représentent un maximum. Un cours qui prescrit une pondération de 3-0-3 devrait demander de consacrer trois heures à l'étude ou au devoir par semaine au maximum pour la très grande majorité des élèves. Pas davantage. Au-delà, ce sont les autres cours des élèves qui seront pénalisés.

Si plusieurs enseignants adoptent une attitude de zèle, les élèves devront faire des choix : abandonner des cours, valoriser certaines matières au détriment d'autres disciplines, bâcler des travaux, s'absenter régulièrement. Bref, par excès de professionnalisme, par bonne volonté, par esprit d'initiative, par souci de couvrir toute la matière, les enseignants se nuisent souvent mutuellement.

Il faudrait que chaque enseignant voie son cours comme une petite partie indispensable à un ensemble. Les heures d'études sont comptées serrées depuis que les révisions de programmes ajoutent des heures de cours et de travaux aux élèves. Ainsi, chaque fois qu'on en demande davantage aux élèves, on leur enlève une partie du temps à consacrer à leurs autres cours.

Si nous ne nous entendons pas entre nous et que chacun des enseignants reste dans sa tour d'ivoire, le taux de décrochage au collégial, qui frise les 50 %, ne cessera pas d'augmenter. À moins qu'un politicien ne vienne sabrer les exigences des études collégiales pour augmenter le taux de diplomation…

mardi 9 décembre 2008

L'enseignement de la philosophie

« Nous n'avons pas retenu votre candidature pour le poste d'enseignant parce que vous semblez accorder plus d'importance à la pédagogie qu'à la philosophie. »

C'est l'explication qu'on a fournie à un candidat pour le poste d'enseignant de philosophie dans un cégep à la suite d'un comité de sélection. Wow! La pédagogie serait-elle suspecte?

Cette remarque rejoint une autre phrase entendue lors de rencontres provinciales des coordonnateurs des départements de philosophie : « L'approche par compétences est dangereuse, car elle dilue la matière (le contenu proprement philosophique des cours) au profit d'habiletés génériques telles que critiquer, analyser, comparer, etc. Cela ouvrira la porte à n'importe quel enseignant qui va pouvoir prétendre donner des cours en atteignant ces objectifs, quelle que soit sa formation universitaire. »

La philosophie pour la philosophie, ce serait une fin en soi? Au collégial, en 2008, l'enseignement de la philosophie devrait coller aux textes quasi sacrés de la tradition gréco-latine, parce que si l'on s'en éloignait, on risquerait de diluer la matière?

Pour résister au courant qui remet en question l'avenir de l'enseignement obligatoire de la philosophie au collégial tous les dix ans, isolons-nous dans notre tour d'ivoire. D'accord, à la rigueur, on peut bien établir quelques liens avec l'actualité, voire donner à lire d'autres textes que ceux de Platon et de Descartes, mais replions-nous sur la spécificité de notre discipline : l'étude de textes de philosophes reconnus, l'analyse de leurs textes, l'explication de leurs textes, la critique de leurs textes afin d'aboutir à une dissertation philosophique dans les formes statufiées par la tradition.

Ce n'est pas que le passé vénérable de la philosophie devrait être suspect, mais la pensée n'évolue-t-elle pas avec la société et l'avancement des sciences et des savoirs? Et pour que l'enseignement de la philosophie à des jeunes de 17 à 19 ans soit attrayant, vivant et dynamique, les enseignants ne devraient-ils pas s'intéresser davantage à la pédagogie, à la réalité des jeunes, à la société dans laquelle ils évoluent, aux avancées technologiques et scientifiques et, surtout, utiliser tous les moyens à leur disposition afin d'agrémenter leurs cours?

L'argument massue du nivellement par le bas, qui consiste à dire que rendre les cours plus attrayants c'est nécessairement diminuer les exigences, témoigne d'une conception judéo-chrétienne de l'enseignement. On doit travailler dur pour mériter son paradis. De la même façon, les élèves doivent trimer fort afin d'atteindre la note de passage. Facilité rime avec luxure et péché. Plus un cours est difficile, meilleur il est.

Bizarrement, les enfants apprennent davantage en s'amusant. Apprendre, pour eux, est un plaisir. Pourquoi vouloir dissocier plaisir et apprentissage? Ce n'est pas parce que des concepts, des notions et des savoirs sont abstraits et difficilement atteignables qu'il faut nécessairement souffrir pour les acquérir. On peut enseigner le théorème de Pythagore de façon amusante. De même pour l'allégorie de la caverne.

À force de protéger l'enseignement de la philosophie en se rabattant constamment sur la tradition et les traditionnelles méthodes magistrales d'enseignement, on risque de se couper du monde et de devenir obsolète. Une matière morte, comme une langue morte. Enseigner le latin pour le latin, parce que cela constituait une bonne formation de base et facilitait l'apprentissage du français, n'a pas protégé l'enseignement de cette discipline.

Rappelons-nous que ce sont les jeunes qui ont « subi » l'enseignement traditionnel de la philosophie dans les cégeps qui ont voulu abolir deux cours obligatoires avant la réforme Robillard. Et ce sont encore les jeunes, dans les partis politiques, qui remettent en question l'enseignement déconnecté de la réalité de cette discipline. Si l'on se coupe des jeunes et de leurs préoccupations, en se cantonnant sur nos positions traditionnelles de l'importance en soi (ou intrinsèque) de la philosophie, on se coupe de l'avenir.

dimanche 7 décembre 2008

Comment augmenter le taux de décrochage scolaire?

Mario Roy affirmait cet automne dans un éditorial de La Presse que le taux de décrochage au collégial atteignait près de 50 %. Comment est-ce possible, après tous les efforts déployés pour endiguer ce fléau? La recette du décrochage collégial est pourtant bien simple.

Premier ingrédient : des enseignants qui n'ont pas du tout de soucis pédagogiques ni aucune formation en pédagogie. En effet, rares sont les enseignants au collégial qui possèdent une formation en pédagogie. L'apprentissage du métier d'enseignant se fait le plus souvent sur le tas, c'est-à-dire sur le dos des élèves cobayes captifs… Heureusement qu'il y a de plus en plus de programmes de maîtrise à l'université qui offrent des stages en enseignement collégial.

Deuxième ingrédient : des révisions de programmes qui ajoutent des heures de cours et d'études aux élèves. Depuis l'instauration de l'approche programme dans les cégeps, on révise périodiquement les programmes d'études. Ce qui a pour effet pervers de toujours ajouter des heures de cours et d'études aux élèves. On définit les programmes à partir d'un profil de sortie qui, inconsciemment sans doute, induit l'idée que l'enseignement collégial est terminal. Les élèves doivent atteindre des compétences dignes de celles à atteindre dans les programmes d'études universitaires ou après plusieurs années sur le marché du travail. On ne définit plus les études par le minimum d'objectifs à atteindre avant d'aller plus loin à l'université ou sur le marché du travail, mais par un ensemble de compétences terminales. D'où, le besoin d'ajout de cours et d'heures d'études.

Troisième ingrédient : des cours de plus en plus exigeants. Il n'y a plus de cours « faciles » au collégial. Auparavant, avant la réforme Robillard, les élèves pouvaient souffler un peu et se ressourcer dans les cours de théâtre, de poésie, de roman, d'essai, de philosophie et d'éducation physique. Maintenant, les cours de littérature sont devenus des cours de techniques littéraires ou de méthodologie, les cours de philosophie sont de plus en plus techniques dans leurs compétences à atteindre et les cours d'éducation physique deviennent de plus en plus des cours théoriques. Sans compter que les cours complémentaires ont été réduits de quatre à deux. Les élèves n'ont plus d'endroits où souffler un peu ou se ressourcer. Ils doivent gober de la matière partout et en rendre compte dans une série interminable d'épreuves.

Quatrième ingrédient : des examens et des contrôles à répétition. Épreuve uniforme en français, épreuve synthèse de programme, examens d'entrée en français et en anglais, compétences finales dans chaque cours, etc. Auparavant, il suffisait souvent de rédiger un travail de session par cours. Maintenant, tous les cours sont balisés par des plans-cadres qui stipulent un minimum de contrôles à effectuer par session selon des critères de plus en plus précis.

Cinquième ingrédient : des enseignants qui exigent toujours davantage de travail de leurs élèves sans égard à l'ensemble du parcours collégial. Chaque enseignant est roi et maître dans son cours et il croit souvent qu'il est seul au monde. Les élèves n'ont qu'un cours à suivre et doivent tout sacrifier à la seule réussite de ce cours. De plus, les pondérations des cours ne représentent que des minimums pour la majorité des enseignants. Trois heures de théorie et trois heures à la maison d'études ou de devoir ne suffisent pas. L'enseignant en demande davantage.

Sixième ingrédient : des horaires surchargés. Un élève de sciences humaines en première session a 28 heures de cours à son horaire. Si l'on ajoute les heures d'études, cela fait 45 heures de cours et d'études par semaine. Comment les élèves peuvent-ils réussir tous leurs cours dans ce contexte?

Voilà les principaux ingrédients qui me viennent à l'esprit quand je tente d'expliquer le taux hallucinant de décrochage au collégial. Il s'agit d'un problème structurel. À trop vouloir défendre le collégial, le réseau a accouché d'une grenouille qui se prend pour un bœuf. Le réseau collégial ne voulait pas se faire bouffer par le réseau universitaire, alors il a grossi… indéfiniment?

Évidemment, il y a d'autres facteurs qui peuvent contribuer à l'augmentation du décrochage scolaire au niveau collégial. Le travail rémunéré, les divertissements de toutes sortes, l'idéologie anti-intellectuelle, le manque d'effort, etc. Mais ce ne sont que des facteurs secondaires, selon moi.