lundi 18 avril 2011

Des élèves et des profs (2)

Suite du billet Les élèves

Les profs

Un des problèmes dans l'enseignement provient le plus souvent des enseignants eux-mêmes qui se cachent derrière leurs livres ou leur savoir pour écraser les élèves, dans le pire des cas, ou pour se rassurer et se donner une contenance devant une classe, dans le meilleur des cas.

Combien de fois entends-je des enseignants réciter littéralement leurs notes de cours universitaires, ou en faire des résumés pour les élèves du collégial? Comme si les jeunes étaient de futurs étudiants de leur discipline universitaire.

Évidemment, la perception de ces profs devient un miroir grossissant des manques des élèves qui ne sont pas spécialisés dans leur domaine. Cela est rassurant et tient les étudiants à distance. On peut alors gloser du haut de ses connaissances tout en se justifiant du fossé creusé entre l'enseignant-savant-qui-sait-tout et l'élève-abruti-qui-ne-connaît-rien-et qui-ne-s'intéresse-à-rien.

Un dialogue de sourds s'ensuit. Et l'enseignant questionne la classe silencieuse d'élèves qui ne comprennent rien ou qui ne veulent pas se faire passer des ignorants en répondant à côté de la voix (ou de la voie?) de la connaissance.

Certains enseignants démotivent alors même les plus motivés des élèves. C'est ainsi que l'on entend des enseignants ridiculiser les jeunes en réunion départementale, à la cafétéria, dans les corridors, à la maison, etc. Ils se plaignent que les élèves ne veulent pas apprendre, que les jeunes sont obtus, étroits d'esprit, qu'ils sont des enfants moules, des enfants rois, qu'ils n'ont pas de culture, qu'ils ne veulent rien savoir de rien, qu'ils sont prisonniers de la société de consommation, de la société de la surabondance, etc. Des abrutis contents de l'être.

Et ces enseignants continuent d'enseigner, car ils ne peuvent pas faire autre chose. Ils ont la sécurité d'emploi et ils vont faire leur temps en classe jusqu'à la retraite. Certains vont même le dire à leurs élèves, directement en commençant les cours. « Je ne veux pas être ici devant vous à essayer de vous apprendre des choses que vous ne voulez pas apprendre. On va passer la session en essayant de ne pas se piler sur les pieds, chacun dans son coin. OK? »

Déplorable, vous dites? Inimaginable? Pourtant, ces choses se reproduisent d'année en année. On a l'impression, en entend certains enseignants parler de leurs élèves, qu'ils sont en guerre continuelle avec ces derniers.

La dernière phrase sibylline que j'ai entendue de la part d'enseignants qui s'opposaient à la création d'un stationnement réservé au personnel est la suivante : « nos voitures vont devenir des cibles pour les élèves mécontents qui vont se venger de leur rancune… » Les élèves : des ennemis potentiels.

L'enseignement devient dans leur bouche un acte de luttes, de conflits, d'antagonismes. Alors qu'il peut être l'exact opposé. Un échange. Un dialogue dans lequel l'élève reconnaît les compétences de l'enseignant qui part des acquis de l'élève pour l'amener plus loin, pour le stimuler à apprendre davantage.

dimanche 10 avril 2011

La burqa intérieure

Une belle femme étouffée dans sa burqa intérieure s'est enlevé la vie le 24 septembre 2009. L'expression n'est pas de moi, mais de Nelly Arcan qui disait aussi, pour décrire la prison dorée dans laquelle on enferme les femmes, la burqa de chair. Beauté plastique, chirurgie esthétique, botox, liposuccion, collagène, blanchiment des dents, orthodontie, teinture, maquillage, etc., ce sont des armes qui tuent à petit feu. Pour le plaisir des hommes. J'ai toujours pensé que les belles femmes sont aussi victimes de leur beauté, car elles sont prisonnières de leur image. L'image de la beauté calquée sur le désir masculin. Tout, pour plaire aux hommes. Même si cela veut dire ressembler à de jeunes filles en fleur. Car le désir masculin se dirige tout droit vers la pédophilie, sans le dire. On projette partout l'image de la beauté féminine comme celle d'une jeune fille d'à peine 18 ans.
Les mannequins doivent se soumettre à des régimes alimentaires sévères pour rester, en apparence, jeunes et minces, pour ne pas dire chétives, sans défense. Et les femmes doivent ressembler à ces fillettes, pour suivre la mode.
Tout l'appareillage de la mode inculque le désir malsain de la jeunesse éternelle. Pour les femmes, cela veut dire lutter toute leur vie contre le temps, contre les transformations naturelles du corps féminin qu'on ne veut pas voir. D'où l'expression de Nelly Arcand : de burqa intérieure ou de chair. Cette burqa que doivent porter toutes les femmes pour ne pas être vues. On ne veut voir que la jeune fille, à peine majeure, pour sauver les apparences. Pourtant, il y a quelque chose de maladif dans cette idéalisation de la beauté féminine adolescente. Quelque chose de tyrannique. Quelque chose qui tue.

vendredi 8 avril 2011

Mise en scène du pardon

Ce qui me frappe en lisant les différentes interventions dans l'affaire Cantat, c'est que souvent les sentiments prennent le dessus sur la raison. Ce n'est pas une mauvaise chose nécessairement. Cela me fait réaliser que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.
En fait, tout ce débat est sain et les positions opposées qui se manifestent sont en général légitimes. Pourvu que personne n'utilise la violence verbale dans ses propos contre la violence physique qu'elle condamne ou pardonne. Combien de personnes ont crié des noms et jeté des anathèmes contre Cantat et tous ceux qui osaient proposer qu'on pût peut-être lui pardonner?
Sur le plan purement théorique, la question du lien entre la vie et l'œuvre d'un artiste est vraiment intéressante. Jusqu'où allons-nous accepter les comportements déviants d'un artiste pour apprécier son art? Faut-il carrément séparer l'œuvre de son créateur? Voilà des questions importantes qui méritent réflexion, car les réponses qu'on y fera auront des incidences majeures sur l'histoire de l'art et son évolution.
Au-delà de ce questionnement moral et esthétique, il y a le questionnement plus fondamental et personnel encore. Jusqu'où suis-je prêt à accepter qu'un individu qui a commis le crime odieux de battre une femme à mort participe à une activité à laquelle je vais assister? Si cet individu était invité à une soirée, pourrais-je y aller également? Ferais-je simplement semblant de ne rien savoir?
Et si j'assiste à la soirée, cela veut-il dire que je lui pardonne son geste abominable? Pour lui pardonner quoi que ce soit, devrais-je essayer de le comprendre tout d'abord? Devrais-je plutôt refuser dès le départ toute possibilité de rédemption à cet individu? Devrais-je toujours éviter tout contact dans le futur avec des meurtriers, des batteurs de femmes et des violeurs? Pour moi, l'être humain peut-il se racheter un jour? Puis-je lui accorder un pardon du bout des lèvres tout théorique sans que les gestes suivent la parole? Et combien de temps doit durer le purgatoire? Cinq ans, dix ans? Quelles sont les preuves de repentir acceptables pour moi?
Le mérite de la controverse Cantat tient à cette provocation d'une interrogation de notre conduite et de notre attitude envers les humains qui ont commis des fautes graves. Mouawad a déjà mis en scène cette interrogation dans sa pièce Incendies qui porte entre autres sur le pardon d'un geste inexcusable. Dans la fiction, on applaudit les personnages qui sont capables de pardon même à leurs dépens, comme dans L'Obsession, Mystic River, Incendie, etc.
Dans la réalité, suis-je capable de pardonner à quelqu'un qui a commis un geste qui me ferait perdre la raison s'il arrivait à un de mes proches? Puis-je passer l'éponge et aller assister à un spectacle dans lequel un criminel qui a purgé sa peine de prison joue un rôle important?
On peut bien reprocher à Mouawad, Pintal et Cantat leur manque de délicatesse, de repentir, de retenue, mais ils ont au moins le mérite d'avoir mis sur la table un malaise profond chez les êtres humains. On tente par tous les moyens depuis de justifier rationnellement nos pulsions, nos émotions inextricablement mêlées. Ce n'est pas rien.
Finalement, ce qui est bien dans cette controverse, c'est que tout le monde ou presque se sent interpellé. Signe que Mouawad a touché une corde très sensible. Il fait mieux que beaucoup de politiciens, d'artistes, d'intellectuels et d'autres personnalités publiques. Maintenant, c'est à chacun personnellement de trancher le nœud gordien, en son âme et conscience, que Cantat vienne ou non.