vendredi 8 avril 2011

Mise en scène du pardon

Ce qui me frappe en lisant les différentes interventions dans l'affaire Cantat, c'est que souvent les sentiments prennent le dessus sur la raison. Ce n'est pas une mauvaise chose nécessairement. Cela me fait réaliser que le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.
En fait, tout ce débat est sain et les positions opposées qui se manifestent sont en général légitimes. Pourvu que personne n'utilise la violence verbale dans ses propos contre la violence physique qu'elle condamne ou pardonne. Combien de personnes ont crié des noms et jeté des anathèmes contre Cantat et tous ceux qui osaient proposer qu'on pût peut-être lui pardonner?
Sur le plan purement théorique, la question du lien entre la vie et l'œuvre d'un artiste est vraiment intéressante. Jusqu'où allons-nous accepter les comportements déviants d'un artiste pour apprécier son art? Faut-il carrément séparer l'œuvre de son créateur? Voilà des questions importantes qui méritent réflexion, car les réponses qu'on y fera auront des incidences majeures sur l'histoire de l'art et son évolution.
Au-delà de ce questionnement moral et esthétique, il y a le questionnement plus fondamental et personnel encore. Jusqu'où suis-je prêt à accepter qu'un individu qui a commis le crime odieux de battre une femme à mort participe à une activité à laquelle je vais assister? Si cet individu était invité à une soirée, pourrais-je y aller également? Ferais-je simplement semblant de ne rien savoir?
Et si j'assiste à la soirée, cela veut-il dire que je lui pardonne son geste abominable? Pour lui pardonner quoi que ce soit, devrais-je essayer de le comprendre tout d'abord? Devrais-je plutôt refuser dès le départ toute possibilité de rédemption à cet individu? Devrais-je toujours éviter tout contact dans le futur avec des meurtriers, des batteurs de femmes et des violeurs? Pour moi, l'être humain peut-il se racheter un jour? Puis-je lui accorder un pardon du bout des lèvres tout théorique sans que les gestes suivent la parole? Et combien de temps doit durer le purgatoire? Cinq ans, dix ans? Quelles sont les preuves de repentir acceptables pour moi?
Le mérite de la controverse Cantat tient à cette provocation d'une interrogation de notre conduite et de notre attitude envers les humains qui ont commis des fautes graves. Mouawad a déjà mis en scène cette interrogation dans sa pièce Incendies qui porte entre autres sur le pardon d'un geste inexcusable. Dans la fiction, on applaudit les personnages qui sont capables de pardon même à leurs dépens, comme dans L'Obsession, Mystic River, Incendie, etc.
Dans la réalité, suis-je capable de pardonner à quelqu'un qui a commis un geste qui me ferait perdre la raison s'il arrivait à un de mes proches? Puis-je passer l'éponge et aller assister à un spectacle dans lequel un criminel qui a purgé sa peine de prison joue un rôle important?
On peut bien reprocher à Mouawad, Pintal et Cantat leur manque de délicatesse, de repentir, de retenue, mais ils ont au moins le mérite d'avoir mis sur la table un malaise profond chez les êtres humains. On tente par tous les moyens depuis de justifier rationnellement nos pulsions, nos émotions inextricablement mêlées. Ce n'est pas rien.
Finalement, ce qui est bien dans cette controverse, c'est que tout le monde ou presque se sent interpellé. Signe que Mouawad a touché une corde très sensible. Il fait mieux que beaucoup de politiciens, d'artistes, d'intellectuels et d'autres personnalités publiques. Maintenant, c'est à chacun personnellement de trancher le nœud gordien, en son âme et conscience, que Cantat vienne ou non.

4 commentaires:

Jocelyn Girard a dit…

J'aime bien comment vous posez toutes ces questions et mettez la table pour une réflexion. Et pourquoi ne pas vous lancer et y répondre également? Toute contribution dans ce débat peut s'avérer utile pour celles et ceux qui cherchent encore la bonne attitude (je ne dis pas qu'elle existe...). Merci.

Michel Milot a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Michel Milot a dit…

WM sur son site écrit:

"Un artiste est un scarabée qui trouve, dans les excréments mêmes de la société, les aliments nécessaires pour produire les œuvres qui fascinent et bouleversent ses semblables. L’artiste, tel un scarabée, se nourrit de la merde du monde pour lequel il œuvre, et de cette nourriture abjecte il parvient, parfois, à faire jaillir la beauté."

Nous verrons bien si cette fois ci le parfois s'appliquera...

Cette histoire s'avère une des histoires troublantes des dernières années. J'essaie de mille et une façon à comprendre le geste de Cantat, mais je n'y arrive pas. Et je me demande souvent: Et si Bertrand Cantat n'avait pas écrit Dès que le vent soufflera? Aurais-je le même questionnement?

Et j'ai l'impression que non...

Unknown a dit…

Merci Guy de ta réflexion sur cette controverse qui nous place devant nos hypocrisies. Avant même que sa pièce soit présentée, Mouawad aura réussi à susciter la réflexion. C'est plutôt admirable.Tu as mis le doigt sur quelque chose d'intéressant quant tu as parlé de pardon fictif au théâtre et au cinéma. Avec Cantat dans le décor, Mouawad montre vraiment toute la difficulté du pardon.