jeudi 24 janvier 2008

Descartes, Nietzsche, Marx, Freud, Sartre, Skinner!

Tout un programme. Je dois préparer un cours de 45 heures sur les conceptions de l'être humain. En utilisant le merveilleux manuel de Jacques Cuerrier, j'ai choisi d'aborder des auteurs qui s'opposent et se complètent. Évidemment, on ne fait qu'effleurer les philosophes. C'est un premier contact pour la plupart de mes élèves. Mais, comme certains disent à la fin de mes cours, j'ouvre des portes. Aux élèves de passer le cadre de la porte pour aller plus loin dans les pièces immenses des philosophes qui ont marqué l'humanité, pour le meilleur et le pire. Cogito, surhomme, volonté de puissance, matérialisme dialectique, travail, lutte des classes, Inconscient, Moi, Surmoi, Ça, liberté et déterminisme. Ouf! Quel programme en 45 petites heures! Bon, je dois y aller : lire, écrire et inventer des exercices inusités pour surprendre mes futurs étudiants.

lundi 21 janvier 2008

La répétition dans l'enseignement

Le plus difficile dans le métier d'enseignant, c'est le recommencement, l'éternel retour du début de la session, de la mi-session et de la fin de session. Pendant plus de trente ans. « Tu vas voir, m'avait prévenu un vénérable professeur à mes débuts, le plus difficile à accepter dans le métier, c'est de voir ses élèves partir pour l'université, terminer leurs études, commencer une carrière et gravir les échelons dans la société, alors que toi, comme professeur, tu restes toujours à la même place. »

En effet, quand je vois mes collègues de naguère passer du métier de simple journaliste à reporter, à chroniqueur, à directeur des nouvelles, à éditorialiste et même à éditorialiste en chef, je me dis qu'ils ont progressé dans la vie. Plusieurs sont même devenus des vedettes de la télévision ou de la radio. Tandis qu'un professeur restera toujours un simple enseignant. Il aura toute sa vie les mêmes conditions de travail. Trente années devant plus de 150 élèves par semaine en enseignant presque toujours la même matière, il faut le faire!

Le professeur qui m'avait prévenu de ce danger de l'impression de stagner dans la vie m'avait également donné une clé : « renouvelle-toi dans ta façon d'enseigner, reste passionné par ta matière et suis l'évolution des jeunes ». Cette façon de voir l'enseignement permet de se renouveler dans son métier sans se faire dépasser par les événements. Évidemment, cela représente également un défi. Comment rester branché sur ce qui allume les jeunes d'aujourd'hui alors que l'on vieillit? Là réside une partie importante de l'art de l'enseignement. Continuer de s'étonner devant les nouveautés et les changements dans la société tout en continuant d'étonner les jeunes que l'on côtoie quotidiennement. Apprendre en enseignant. Cela prend de l'énergie, du courage et une bonne dose de modestie.

samedi 19 janvier 2008

L'«opinionnite»

Il y en a partout, sur toutes les tribunes. Des chroniqueurs à la pelle qui chroniquent sur tout et sur rien. Il y en a même qui chroniquent sur les chroniques. Comme moi en ce moment…
C'est la même chose avec les blogues. Les blogueurs pullulent. Dans tous les domaines, il y a des blogueurs qui donnent leur opinion. Sur tout et sur rien. Le règne de l'opinion l'a emporté sur celui de l'information.
Dans les quotidiens, c'est pareil. Combien y a-t-il de chroniqueurs à La Presse, au Journal de Montréal et au Devoir? Des dizaines, sans compter les pages forum et opinion. Tout le monde a son mot à dire. Les quinze minutes de gloire de Warhol se sont transformées en quinze lignes d'impressions.
En plus, il y a surenchère. Les opinions doivent être tranchées pour se démarquer. Trop de nuances nuisent à la diffusion et à la compréhension du message. Les professionnels de l'« opinionite » le savent et ils utilisent tous les trucs de leur métier de journaliste afin de trouver un créneau qui les caractérise. Leurs propos et leur style les rendent célèbres. Pas besoin d'être un expert dans un domaine pour semer à tout vent son fiel ou son humeur.
Platon, qui condamnait l'opinion, entre autres choses (et l'écriture, car il n'était pas à une contradiction près…), au profit du savoir et du discours de la raison, aurait mal au cœur aujourd'hui devant cette avalanche d'opinions. Comment se forger une idée cohérente, solide et personnelle sur les événements, si l'on nage dans les préjugés et le prémâché et si l'information sérieuse, scientifiquement vérifiable, est ensevelie sous une tonne d'opinions?
Je m'arrête sur ce questionnement, car je patauge moi-même en pleine contradiction en critiquant les faiseurs de leçons… Non?

mardi 15 janvier 2008

Dix trucs pour enseigner longtemps

Quelques professeurs aguerris de philosophie m'ont transmis des trucs du métier lorsque je suis arrivé dans leur département au Collège Lionel-Groulx. Ces professeurs avaient plus de trente années d'expérience et ils aimaient toujours enseigner leur discipline. Ils ont pris leur retraite à regret, même si aujourd'hui ils ne regrettent rien. Surtout pas les corrections, affirment-ils. Alors, voici quelques-uns de leurs trucs pour persévérer dans l'enseignement d'une matière obligatoire tout en aimant passionnément ce métier.

1. Les élèves passent, les professeurs restent. Ainsi, ne jamais sacrifier sa qualité de vie pour ses élèves. Un professeur heureux et en santé est toujours plus apprécié des élèves qu'un professeur au bout du rouleau, impatient et presque en dépression, qui a achevé ses corrections à quatre heures du matin, par exemple…
2. Moins, mais mieux. Aucun contenu de cours n'est sacré. Vaut mieux sacrifier de la matière à voir que de bourrer les crânes des élèves comme des cruches à remplir. De toute façon, la matière finit immanquablement par déborder. Les élèves apprennent mieux à petites doses. La modération a bien meilleur goût…
3. Adapte tes cours aux élèves, pas l’inverse. Si tu as plus de 10 % d'échec dans tes cours, c'est sûrement parce que quelque chose ne va pas, sauf exception. Ne rejette pas la faute sur le dos de la paresse des élèves, de leur mauvaise préparation par les autres professeurs, de leur incurie, etc. Regarde plutôt ce que tu pourrais améliorer dans ton propre enseignement. Ton cours est-il trop difficile pour le niveau moyen des élèves de ta classe? Es-tu trop ennuyant? Sais-tu comment capter l'attention des élèves?
4. La reconnaissance de tes élèves est ton seul salaire. Tu ne seras jamais valorisé socialement comme tu l'étais en journalisme, par exemple. Tu seras même ridiculisé pour ton maigre salaire et tes conditions de vie enviables. La seule satisfaction d'un professeur est de constater que son travail est apprécié des élèves qui sont heureux d'apprendre avec lui.
5. Diversifie les activités pédagogiques et le rythme des cours. Ne sois pas ennuyant et adresse-toi à tous tes élèves, des plus forts aux plus faibles. Garde toujours en tête que les élèves apprennent différemment et que tu dois viser l'apprentissage de chacun à sa façon. C'est la quadrature du cercle de l'enseignement : s'adresser à tout le groupe et à chacun personnellement.
6. Le contenu du cours est moins important que la forme, la manière de le transmettre. L'enseignement est un acte humain, de personne à personne. Le contact s'établit seulement s'il y a de la sincérité de part et d'autre. Une fois que le courant passe, entre le professeur et les élèves, le contenu du cours trouve son chemin.
7. Une attaque (un début de cours percutant) et une chute (fin de cours séduisante) à chaque cours, si possible. Capter l'attention de tout un chacun, c'est le défi de l'enseignant.
8. Établis un lien de confiance et de respect mutuel avec les élèves. Ne méprise jamais les élèves quels qu'ils soient et quel que soit leur niveau de compréhension du cours. Une fois la confiance et le respect établis, le pont entre les élèves et le professeur est facile à franchir.
9. Tu enseignes pour les élèves pas pour prouver quoi que ce soit d’autre. Pense toujours en fonction des élèves, pas de la matière à voir, ni de ta popularité, ni de ta réputation. Les élèves doivent être le centre de tes préoccupations d'enseignant.
10. Sois toi-même dans ton enseignement, ne joue pas un rôle. Les élèves, surtout au collégial, sont les experts en professeurs. Ils ont côtoyé, au bas mot, plus d'une cinquantaine d'enseignants dans leur carrière d'apprenant. Ils décèlent immédiatement les professeurs qui jouent des rôles pour les séduire ou leur faire peur. Et ils apprécient par dessus tout les adultes honnêtes envers eux, dans leurs exigences et dans leurs comportements.

lundi 14 janvier 2008

Décomposition de groupe

Un groupe d'une trentaine d'élèves comporte habituellement la même proportion de jeunes intéressés par les études, de jeunes captivés par le professeur, de jeunes qui suivent les autres comme des moutons et, finalement, de jeunes qui ne sont pas à leur place.
En général, dans les groupes réguliers, il y a toujours un 10 % d'élèves qui n'ont rien à faire en classe. Ce sont les irrécupérables quoi qu'il arrive. Exceptionnellement, certains réalisent qu'ils sont à l'école pour apprendre, mais la plupart sont déjà hors du système. Ils se retrouvent en classe par hasard ou par la force des choses, souvent par obligation pour faire plaisir à leurs parents. Ce groupe ne compte finalement que trois ou quatre élèves par groupe. Ce qui est somme toute marginal.
Une partie plus importante, environ un tiers de la classe, suit les autres au Collégial par habitude. Ils peuvent très bien réussir les cours, sans trop savoir pourquoi. Ils sont là, en classe, parce que c'est ainsi, c'est le système qui veut cela. Pour vivre décemment, pensent-ils, cela prend de l'argent et pour avoir de l'argent, cela requiert des diplômes dans notre monde d'aujourd'hui. Alors, ils sont là afin d'obtenir des papiers officiels. Point à la ligne. Ils sont en attente dans une classe. Ils vont suivre le courant, si le courant passe…
Une troisième catégorie d'élèves, environ un autre tiers, se constitue de jeunes qui veulent être motivés par le professeur. Si le professeur les embarque dès le premier cours de la session, ils vont participer aux activités avec cœur. Ce ne sont pas les leaders d'un groupe, mais les participants honnêtes. De futurs honnêtes hommes et femmes dans la société. Un professeur dynamique et respectueux va pouvoir les entraîner à sa suite, ce qui va avoir un effet d'entraînement sur l'ensemble de la classe. Les élèves en attente vont suivre les élèves qui participent et qui semblent enjoués de le faire.
Finalement, reste la catégorie des élèves modèles, ceux pour qui l'instruction recèle en elle-même son propre intérêt. Ce petit sous-groupe de 10 % de la classe va au-devant des demandes du professeur. Non seulement ces quelque trois ou quatre élèves vont exécuter les tâches demandées avec zèles et bonheur, mais ils vont en exiger davantage du professeur. Ils veulent apprendre coûte que coûte. Les professeurs peuvent compter sur eux, quand ils sont respectueux et qu'ils n'ambitionnent pas sur le pain béni.
Il y a toujours, également, les étoiles filantes dans un groupe d'élèves. Ce sont les élèves qui ne sont pas nécessairement modèles dans leurs comportements, mais qui sont tellement originaux qu'ils finissent par colorer l'atmosphère d'un cours. Ils interviennent souvent, ils sont plus matures que les autres, plus originaux, plus imprévisibles. Ce sont souvent ces élèves qui mettent de la vie dans un cours, quelle que soit la matière enseignée. Il y a une ou deux étoiles filantes par groupe, habituellement. C'est bien assez, mais c'est souvent nécessaire pour pimenter l'atmosphère en classe.
Alors, une des stratégies pour enseigner à des groupes réguliers consiste à motiver la catégorie des participants, ce qui va entraîner les suiveurs, et stimuler les étoiles filantes, tout en les contrôlant le plus possible discrètement. Évidemment, il faut aussi espérer que les deux ou trois étudiants irrécupérables finissent par se réveiller en classe en voyant tous les autres élèves participer au cours.

samedi 12 janvier 2008

Ah! les jeunes

En 2002, j'avais publié un article sur les jeunes dans Le Devoir qui avait fait beaucoup jaser dans les chaumières. Je récidive aujourd'hui, car depuis ce temps, plusieurs choses ont changé.
Les lecteurs MP3, les cellulaires et les ordinateurs portables sont devenus monnaie courante pour des jeunes qui n'ont pas connu le monde sans Internet. Internet lui-même s'est radicalement transformé et est devenu fortement interactif depuis que le Web 2 (les Wikis, les podcasts, les blogues, etc.) a pris la place des sites plus classiques de diffusion unidirectionnelle de l'information.
Le monde de l'électronique a envahi l'univers des enfants dès le berceau. Le multitâche, l'interaction et le réseautage social remplacent désormais les repères des générations précédentes. Le mode de perception et de compréhension des jeunes diffère de celui des générations qui les ont précédés. Tout cela a un impact immense dans le malaise que certaines personnes ressentent devant les attitudes et les comportements des jeunes d'aujourd'hui.
Cette transformation en profondeur de la société qui a cours actuellement a également un impact immense dans le monde de l'éducation. Comment les professeurs peuvent-ils influencer des jeunes qui sont constamment sollicités et surexcités par le monde multimédia dans lequel ils évoluent quotidiennement depuis leur naissance? Comment capter l'attention des jeunes qui vivent littéralement parmi les images et les sons?
Pourtant, l'inattendu se produit immanquablement en classe. La très grande majorité des élèves que je côtoie depuis plusieurs années réussissent mieux maintenant que les jeunes qui les ont précédés. Bien sûr, il y a le problème des cellulaires qui dérangent en classe même s'ils sont interdits (comme au théâtre, soit dit en passant); bien sûr, il y a le problème du copier-coller qui prend de l'ampleur pour les travaux réalisés à la maison; bien sûr, il y a le problème de l'accès à Internet qui bloque toute autre forme de recherche pour certains élèves; bien sûr, il y a le problème du manque de concentration lors de longs développements en classe; bien sûr, il y a le problème de la lecture et de l'écriture qui touche quelques jeunes; bien sûr, il y a le problème de l'insomnie dû à de trop longues parties de jeux vidéo tard dans la nuit; etc. On pourrait continuer longtemps cette litanie de reproches à l'égard des impacts des nouvelles technologies.
Pourtant, dans les classes, en général les élèves sont polis. En plus, ils démontrent de l'enthousiasme et ils sont ouverts d'esprit. Finalement, cerise sur le sundae, la plupart écrivent bien. Comment est-ce possible? Après tout, ne vivent-ils pas dans des familles dysfonctionnelles ou reconstituées, d'après les médias? Ne sont-ils pas constamment braqués devant leurs écrans de toutes sortes? N'écoutent-ils pas de la musique à tue-tête continuellement? Eh bien, non!
Les élèves que j'ai eus la session dernière étudiaient tous en sciences humaines au Collège Lionel-Groulx et ils étaient tous, à l'exception de deux ou trois, intéressés par la matière obligatoire que j'enseigne, la philosophie. De plus, ils étaient tous intéressants à plusieurs égards. Et ils en connaissaient beaucoup plus que moi dans bien des domaines, autant en arts (cinéma et musique) qu'en histoire ou en politique. Il suffit de leur donner la parole en classe pour s'en rendre compte. Leur donnons-nous suffisamment la parole?